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mercredi 21 septembre 2011

CORA EVOQUE AIRS ET LUCIEN GERE FANION PHILOSOPHIQUE...


Et la mort efface sur le sable les pas de Cora !

A l’âge de 93 ans, Cora Vaucaire (née Geneviève Collin) nous a quittés dans la nuit du vendredi 16 septembre au samedi 17 septembre 2011.

Cette grande interprète qui a immortalisé « la complainte de la Butte » et qui porta haut les couleurs de Prévert et d’Aragon hantera encore longtemps Saint-Germain des Prés.

Lucien Jerphagnon, lui, est mort le 16 septembre 2011 à l'âge de 90 ans. Ancien assistant de Vladimir Jankélévitch, spécialiste de saint Augustin (qu'il a édité dans la Pléiade), cet historien de la philosophique qui enseigna notamment à l'université de Caen était l'auteur de nombreux ouvrages parmi lesquels figurent "Les Divins Césars", "Julien l'Apostat" ou une impressionnante "Histoire de la Rome antique".

Deux mondes différents : la chanson et la philosophie ! Mais une même sensibilité, un même souci de la perfection et une mort semblable qui s’érige en fin de parcours.

Et puis un nouveau chemin vers au-delà (à défaut de vin d’ici).



Lucien venait de passer l’arme à gauche en ce 16 septembre 2011. La mort, quelle sottise ! Mais enfin, la pensée de St Augustin l’accompagnait ! Ah, Saint Augustin ! Il lui avait consacré une partie de sa vie en le ressuscitant dans la Pléiade ! Un saint qui disait : « Crois-moi, quand la mort viendra briser tes liens comme elle a brisé ceux qui m’enchaînaient, et quand un jour que Dieu connaît, et qu’Il a fixé, ton âme viendra dans le ciel où l’a précédée la mienne, ce jour-là tu reverras Celui qui t’aimait et qui t’aime encore, tu retrouveras Son cœur, tu en retrouveras les tendresses épurées…

Lucien venait juste de se remémorer ces quelques phrases quand il entendit trois petites notes de musique qui venaient de plier boutique au creux du souvenir. Il se retourna et vit que les frêles croches (dont une pointée) émanaient d’une bouche délicate d’où sourdait encore une brume vaporeuse. Une longue dame blanche se tenait devant lui.

- Madame, à qui ai-je l’honneur ?

- Cora ! Cora Vaucaire ! Et vous ?

- Heu, Lucien, Lucien Jerphagnon ! Que faites-vous là ?

- Comme vous j’imagine ! Je m’achemine le long de cet interminable corridor vers une lumière indicible qui m’attire. Il me semble bien que nous soyons morts tous les deux !

- Morts ? Ainsi la mort serait venue ? Et je serais conscient que je suis mort ? Et pourtant mon vénéré maître Jankélévitch  l’avait bien dit : « La mort joue à cache-cache avec la conscience : où je suis, la mort n'est pas; et quand la mort est là, c'est moi qui n'y suis plus. Tant que je suis, la mort est à venir; et quand la mort advient, ici et maintenant, il n'y a plus personne. De deux choses l'une: Conscience, ou présence mortelle ! Mort et conscience, elles se chassent et s'excluent réciproquement, comme par l'effet d'un commutateur... » Il avait bien dit cela ! Et pourtant je suis conscient, je vous entends Madame et je vous vois mais…

- Mais vous ne vous voyez pas ! Le narcissisme n’est plus de mise ici. Je ne me vois pas moi-même et mon corps semble éthéré dans le prisme de mon regard avide de réflexivité ! En revanche je vous vois Monsieur !

- C’est inouï ! J’ignorais qu’on pût peut prendre conscience de la mort ! En réalité, si je puis dire, il suffit pour cela de passer de l’autre côté ! Et, par ailleurs, nous n’existons que dans le regard de l’autre !

- Et dans la voix !

- Oui, Madame Vaucaire, dans la voix, dans la musique de votre timbre ! Vous avez dû entretenir ce bel instrument !

- J’ai fait au mieux ! Je me suis mise à chanter les œuvres de Prévert ou d’Aragon dans le Saint-Germain-des-Prés de la belle époque !

- Ah, oui ? Alors vous avez dû côtoyer Juliette ?

- Greco ? Bien sûr ! Elle était la dame en noir et moi j’étais la dame blanche ! Question de tenue vestimentaire ! Oui, je l’ai bien connue ! Et vous, qu’avez-vous fait de votre vie ?

- En toute modestie je me suis intéressé aux œuvres des autres, à la vie des anciens : les Grecs, les Romains, St Augustin… . Je me suis passionné pour le grec, pour les citations latines et j’ai tenté de faire partager ma passion à des étudiants boutonneux !

- Ah, vous étiez professeur ?

- Oui, ah, pas que ! Il m’est arrivé de troquer la plume contre une paire de ciseaux et de la colle !

- Ah bon ?

- Oui, j’ai ainsi composé des tableaux de la vie contemporaine à partir de magazines d’actualité ! Du découpage et du collage pour des résultats, ma foi, assez cocasses et délirants ! Si je ne m’abuse votre ami Prévert (car je pense qu’il était votre ami) s’est adonné aussi à des collages en parfait surréaliste qu’il était !

- C’est vrai ! Il m’avait montré ses œuvres ! Il mettait ses poèmes en images.

- Ah c’était quelqu’un ! J’aurais aimé le rencontrer ! Je me souviens d’une de ses aphorismes : « Cela fait des années que je reçois la même lettre de faire-part : " Dieu est mort "

- AH, ah, quel humour ! J’espère que je vais le retrouver dans cet endroit bizarre ! Tiens, la lumière au fond du couloir s’intensifie ; vous ne trouvez pas ?! Elle m’aveugle !

- C’est pourtant vrai Cora ! Elle m’aveugle aussi ! Je ne vous vois plus ! Cora ! CORA ??

- Je suis là Lucien ! Je ne vous vois plus ! Mais j’entends votre voix ! J’entends des voix ! Vous entendez ?

- Oui Cora ! J’entends ! C’est le fil des mots qui tisse sa toile ! Plus rien n’existe que les mots et le son des voix qui les portent ! Je le savais : au commencement était le verbe (St Jean) et à la fin il demeurera ! Je reconnais le timbre de Jankélévitch ! Il m’invite à parler avec lui ! Je vous laisse Cora ! A bientôt !

- A bientôt Lucien ! Jacques m’appelle ! Il veut que je lui rechante les « feuilles mortes » ! Nous avons toute l’éternité pour nous retrouver et deviser ensemble !

- A bientôt Cora ! Ce fut un plaisir, vraiment !