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mercredi 17 août 2011

LA RETRAITE (Allain Leprest - Romain Didier)

Un texte d'Allain que j'ai cru bon vous proposer, en sa mémoire.

Scan10022.JPG
        (photo tirée des "Chroniques de Mandor" - www.mandor.fr)
       Tout à droite : Romain Didier le talentueux compositeur
       Près de lui : Allain Leprest, étoile de l'écriture.

Tiens, c'est le fond de la bouteille
Ça y est nous voilà vieux ma vieille
Des vrais vieux qui trient les lentilles
Des vieux de la tête aux béquilles
Tiens voilà le bout de la rue
On souffle comme qui l'aurait cru
Du temps qu'on vivait à grand pas
Du temps qu'on leur en voulait pas
Aux étoiles de disparaître.
La retraite !

T'as beau dire qu'on nous rend le cœur
Une fois vidé du meilleur
Qu'ils ont pris le tronc et la force
Qu'ils ne rapportent que l'écorce
N'empêche c'est déjà moins con
Que soit consigné le flacon
Qu'après le festin on nous laisse
Les arêtes de la vieillesse
Le temps d'finir la cigarette.
La retraite !

Tout ici a la soixantaine
Ce café-là sent la verveine
Je t'aime, enfile tes chaussons
L'amour jette ses paillassons
Et la tête tourne soudain
A relire le papier peint
Où mille fois les chasseurs tuent
Un grand cerf qui cherchait l'issue
Entre la porte et la fenêtre.
La retraite !

Il paraît qu'à un certain âge
Plus ou moins l'esprit déménage
Et qu'on a la raison qui tangue
Et des cheveux blancs sur la langue
Nous on doit être centenaire
A rêver du bout de la terre
Avoir des envies de Pérou
Et entendre au-dessus du trou
Ce bruit de pelletées qu'on jette.
La retraite !

Le soir descend, partons d'ici
Faudrait pas qu'ils nous trouvent assis
Si on larguait les bibelots
Tout tiendrait dans un sac-à-dos
Regarde, on tend le bras et hop
Ils appellent ça l'auto-stop
Tant pis si on n'a pas de jeans
Si cette conne s'imagine
Qu'avec elle le cœur s'arrête.
La retraite !

Adieu le lit, salut Madrid
On laisse pas longtemps nos rides
Pour peu qu'on se démerde bien
On s'ra à Tolède demain
A regarder les ombres lentes
Eteindre les maisons brûlantes
Salut l'oranger sur la cour
Salut la paresse des jours
J'avais hâte de te connaître...
La retraite !

Tiens, c'est le fond de la bouteille
Ça y est nous voilà vieux ma vieille

TU NOUS QUITTES TROP TOT...



J’ai beaucoup de mal à le croire. Allain Leprest nous a quittés. Il s’est donné la mort à Antraigues, le village de Jean Ferrat qu’il connaissait. Il n’avait que 57 ans. Il s’est donné la mort mais tôt ou tard la mort se serait donnée à lui.

Il s’est abrégé une souffrance cancéreuse qui ne cessait de peser sur le lit de ses mots, sur le fil de sa voix, rocailleuse mais si émouvante.

Allain Leprest nous a quittés mais il nous laisse une œuvre ! Des textes incomparables qu’il me sera permis de réécouter par la voix de Romain Didier avec qui il a composé de très belles chansons. Je vais me repasser quelques perles de Enzo Enzo car, dans leur écrin, elles se parent aussi de la poésie d’Allain.

Allain a écrit pour tant d’artistes et l’homme s’est vu récompenser par le Grand Prix des Poètes de la Sacem. Alors, il n’avait cure de ne pas être reconnu par Drucker, de ne pas se faire cirer les pompes par des présentateurs médiocres sous le feu de caméras dérisoires.

Leprest volait ! Il survolait tout ce petit microcosme de pseudo-vedettes, de m’as-tu-vu suffisants. C’était un astre lumineux que Nougaro qualifiait comme « un des plus foudroyants auteurs de la chanson française ».

Leprest en terre ! Je n’ose y croise ! Le prestataire de la chanson française ! Le digne héritier de Brassens, de Ferré…

Leprest est parti. Antraigues pleure une seconde fois. Mais les chansons survivent !

Et les amis te reconnaîtront…

Cet Allain là avait deux ailes
Pour mieux voler parmi les mots
Les admirer au fil de l’eau
De sa poésie d’aquarelle.

Arrimées à de douces notes
Ses proses exhalaient la beauté
L’éclat des rimes ciselées
De l’émotion qui se sirote.

Leprest, le prestige modeste
Par la Sacem auréolé
Mais cathodiquement boudé
Sans plus d’amertume funeste.

Leprest.idigitateur né
Pour transfigurer en chanson
La mélodie du compagnon
Aux deux prénoms : Romain Didier.

De beaux concerts contre un cancer
Mots tant moteurs contre tumeur
Mais la camarde au chant d’auteur
Le dernier mot aura donné.

D’Antraigues part une belle âme
Dans la nuée de Jean Ferrat
Mais le clocher sonne le glas
Des poésies au cœur de flamme.

Leprest a terminé sa voie
En nous léguant chansons à naître
Mais se donnant de tout son être
Le prestataire minait sa voix…

Repose en paix grand flamboyant
Prince audacieux de l’écriture
Quand tant d’esprits jouent l’imposture
Sur quelque dérisoire écran.

Repose en paix beau troubadour
Tu vas connaître la retraite
Dans un soleil qui te projette
L’ombre joyeuse de l’amour.