« Une fois, par un minuit lugubre, tandis que je m'appesantissais, faible et fatigué, sur maint curieux et bizarre volume de savoir oublié - tandis que je dodelinais de la tête, somnolant presque: soudain se fit un heurt, comme de quelqu'un frappant doucement, frappant à la porte de ma chambre - cela seul et rien de plus.
Ah! Distinctement je me souviens que c'était en le glacial Décembre : et chaque tison, mourant isolé, ouvrageait son spectre sur le sol. Ardemment je souhaitais le jour - vainement j'avais cherché d'emprunter à mes livres, notamment « La Princesse de Clèves », un sursis au chagrin - au chagrin de la Cécilia perdue !
Puis l’homme se lève, malgré tout, et, le visage ravagé de pilosité narquoise se met à appliquer sur son visage pâle un rasage méthodique et ferme :
- Je suis Président, désormais, et aux âmes bien nées ma valeur n’attendra pas le nombre des années. Je vais poursuivre ma destinée sans celle qui m’a soutenu, ma Cécilia !
Il se coupe immanquablement et un filet rubicond trace sur les sillons des commissures labiales l’évidence d’un sang royal. L’homme se précipite vers la salle de bain pour y quérir l’alcool à 70° C et la ouate de secours. Dans sa course anarchique il trébuche sur un tableau posé contre le mur bleuté de cette chambre que l’amour ne visitera plus.
L’homme hurle de douleur et fulmine. Il se frotte énergiquement le gros orteil douloureusement atteint. Dans un geste de colère il soulève le tableau et l’observe avec un regard teinté de véhémence. Il s’agit de la reproduction de « Cygnes réfléchis en éléphant ! » Un tableau qui trompe énormément et de Salvator Dali !
Une évanescence béate supplée inopinément l’indicible colère. L’homme de pouvoir fixe les couleurs étonnantes et se revêt la mémoire de sublimes réminiscences. Une visite au musée avec Cécilia ! L’envoûtement de cette toile. L’envie immédiate d’offrir à sa bien aimée une copie du chef-d’œuvre !! Et pourtant elle lui a laissé ! Souvenir cruel !
L’homme repose le tableau, les yeux dans les nuages. Il se dirige vers l’armoire à pharmacie qui surplombe le siège des diurèses. Il s’apprête à retirer la fiole d’alcool lorsque se déclenche le radio réveil de l’autre côté de la porte : la chambre fredonne une comptine bien sympathique :
- On n’verra jamais un gentil têtard avec sa guitare chanter des chansons aux poissons…
Evidemment c’est très con, mais c’est pour les mômes. Il n’empêche, l’homme grommelle encore : que des conneries ! Casse-toi pauv’ con !!
Mais déjà la commentatrice annonce la nouvelle chanson qui va être diffusée sur les ondes : « Après Henri Dès un tout autre univers, celui de la prometteuse Carla Bruni.. »
Et tout en se badigeonnant le visage d’alcool salvateur le petit Nicolas écoute religieusement le mince filet de voix qui s’échappe du transistor. Progressivement son âme atteint le lyrisme, son cœur bat la chamade, il transpire, il suffoque :
- Cette voix, cette voix de femme, comme c’est beau, comme j’aimerais rencontrer cette femme…
Mais je me suis assoupi tant le rythme du film s’accrochait à une lenteur génératrice de somnolence pérenne.
Quand je me suis réveillé les gens quittaient les fauteuils de la salle obscure.
Il faudra que je retourne voir ce film au plus vite. Je n’ai même pas reconnu qui interprétait notre Nicolas national !! C’est dire mon état de fatigue !!
La prochaine fois je m’ingurgiterai triple dose de café noir !