Pierre Boulez vient de nous
quitter à l’âge de 90 ans, ce mardi 5 janvier. Sa mort signe, en quelque sorte,
la fin d’une musique avant-gardiste du XXème siècle qui remettait en cause l’harmonie
classique.
Pierre Boulez est né à
Montbrison, dans la Loire, en 1925. Il commence par casser des verres à pied
pour savoir quelle poésie musicale s’instaure !
Que fais-tu, Pierre, demande
son père ?
J’entends mon bris sonner,
rétorque l’enfant qui ne sait pas encore que cette expérience augure de sa
future création.
Il se met au piano dès 7 ans
et déchiffre bien. Des chiffres tellement bien qu’il s’oriente vers les
mathématiques afin de se mettre à la portée de l’Ecole Polytechnique de Lyon.
Mais il n’oublie pas Euterpe qui l’amuse !
Alors qu’il assiste à une
course de 100 mètres où brille une collègue de promo, une certaine Marthe, lui
vient brutalement une musique. Il l’écrira sur portée. Ce sera le célèbre
« Marthe aux cent mètres", pas toujours très compris d’un auditeur
peu averti.
Il monte à Paris, étudie vite avec un cerveau de matheux. Tout est
si fa si la la mi Pierre. Il comprit le cours de son maître, Olivier Messiaen,
larmes honnie et avec allégresse la si mi la ! Sur le rameau d’Olivier il
sait repérer les chants d’oiseaux car son oreille musicale est sans pareille.
En 1946, il gagne sa vie en jouant des ondes Martenot, ancêtre du
synthétiseur (priez pour nous), aux
Folies-Bergère quand Jean-Louis Barrault lui propose de rejoindre sa compagnie
théâtrale pour diriger la musique de Seine et de tisser des rapports plus
francs si liens !
Boulez n'a aucune expérience de la direction d'orchestre.
Heureusement l’agent « l’ouïe » barre haut, sur les ondes les plus
difficiles à atteindre. L’homme reconnaît le son de tous les instruments. Il
apprend vite et sur le tas ! Il profite de la confiance qu’on lui prête (à
taux zéro) pour fonder, dans les années 50, le Domaine musical, où il présente
au public parisien son approche du répertoire contemporain dont Barrault est le
content parrain.
Boulez, se met jusqu’au bout l’aise d’écrire une musique radicale
et nouvelle. Pour un peu il vous dirait : fa c’est si ! Il
expérimente pour pondre de la musique sérielle qui leurre les adeptes de
l’harmonie en imposant des œuvres atonales, voire à taux nul pour les
détracteurs.
A partir des années 1960, Pierre Boulez, que les critiques rendent
l’esprit âpre et maudit d’un faune, prend le train plus tempéré qui longe la mer
de Debussy ! Il s’exécute en multiples arabesques entrecoupées de soupes
de poisson concoctées par un homme d’art à bisques. Et bientôt des œuvres de
poids sonnent : Explosante-fixe (1972-1994), ou Répons (1981-1988)
Dans les années 1970, Boulez diriger l'Institut de recherche et
coordination acoustique/musique (Ircam). L’Ircam c’est comme l’Icam (Institut
Catholique des Arts et Métiers) sauf qu’on rajoute un air en plus (et pas
forcément très catholique). Avec l'Ensemble InterContemporain et l’Ircam, on
peut réellement dire que l’avant-garde trouve ses institutions pour la plus grande
gloire de Boulez. Et quelle notoriété à l’étranger l’Ircam eut (lire Camus) !
La carrière de ce mathémusicien (mot valise qui n’est pas si
malle) est jalonnée par une pugnacité sans borne et des prises de bec
véhémentes. Avec son humeur de chien Boulez bile !
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Le
Monde est composé deux types d’engeances : celle qui est avec moi et celle
qui est contre moi, déclare-t-il en même temps que ses revenus.
-
Même la musique de son maître Messiaen rend Boulez rouge :
-
Il
n’est qu’ânon, fustige-il, son œuvre est à vomir !
-
.......
Certains verront dans cette aigreur verbale la marque d’une
sensibilité à fleur de peau ! Et quand on en a plein le dos, des cas, faut
nique !
En 1967, il laisse la direction du Domaine Musical à Gilbert Amy
(l’Amy la do ré). Il est alors reconnu comme un grand chef d’Orchestre. Il a dirigé
l’Orchestre de Baden-Baden après avoir quitté la France en claquant la porte à
Malraux en 1966, tel un coup de Massu.
-
Malraux
veut réorganiser la vie musicale française mais il ne s’y connaît pas ! Il
a le gong court ! Sa musique c’est les voix du silence. Comment ce Malraux
décevant, ce mal rodé se vend ! Non, je me casse !
-
A Baden Baden, il dirige l'Orchestre de la Südwestfunk puis on le
voit diriger Parsifal sans permettre à
ses musiciens qu’ils vaguent, n’errent. Donc une maîtrise de fer pour un
vénérable Festival de Bayreuth où son cœur bat, va roi !
Entre 1976 et 1980, il y conduit un Ring historique, sur une mise
en scène de Patrice Chéreau, un homme qui lui est cher. Il montera avec lui la
création de Lulu, d’Alan Berg, mais, cette fois ci, à l’Opéra de Paris.
A chaque fois c’est une triomphe. On admire sa maîtrise et le
respect des œuvres. De Cleveland à New York, en passant par Londres, l’homme
sans baguettes (il n’aimait pas la musique chinoise) commande aux mains et aux
bras sans faire parler le corps sauf s’il est d’harmonie, fa sonnant !
Dès ses premiers enregistrements pour le label Adès, on a encense
sa précision que des pigistes de Métro nomme « inouïe ». Puis ses
disques enregistres par CBS, aux USA confirment sa pâte novatrice dans
l’interprétation de la musique du XXème siècle (Debussy, Stravinsky, Berg…)
Boulez ira s’imposer, également, comme l'interprète idéal de Ravel
ce qui semble assez antinomique eu égard aux styles de musique que chacun
défendait. Mais, en lançant tant de disques, certains disent que Pierre,
discobole héros, fait connaître plus que disco boléro ! A partir de 1989,
il enregistre ses grands succès pour
Deutsche Grammophon, un label qui évoque, allemand, et avec bonheur les œuvres
de Mahler.
A l’inauguration de La Cité de la musique, à Paris, Boulez fête
ses 80 balais hors de France. Encore un joli pied de nez. A Berlin, il dirige
l'Orchestre de Chicago et celui de la Staatskapelle, dans la symphonie n°2
« Résurrection » de
Mahler.
Il entreprend ensuite une tournée en Europe et aux Etats-Unis. Il
ne voudrait plus revoir son pays qu’il ne se comporterait pas autrement, disent
les mauvaises langues. Pour lui, Paris, est-ce un faux nid ?
Pourtant son pays lui a tout donné : directeur de l’Ircam, président
de l'Ensemble InterContemporain ; vice-président
de l'Etablissement public de l'Opéra Bastille, conseiller spécial à Radio
France, à la Sept [ex-Arte] et à la Villette, professeur au Collège de France,
excès taira…
Mais peut-être que l’Hexagone n’a jamais vraiment digéré sa
musique du dit-gérant de l’avant garde ! Aussi, renvoie-t-il l’ascenseur
en soutenant, par exemple, que la pop c’est comme du papier peint. Alors que sa
musique serait plus comestible : papille et pain ? Monsieur aurait
l’esprit quelque peu prétentieux ?
Soixante-dix ans après, le boulot de Boulez (déballé sans beau ballet
du bileux aux débats laids) est entré
dans l'Histoire, mais l’œuvre n'a
toujours pas vraiment sa place au répertoire ! Il n’est pas l’heureux père :
tord y est ! Tord d’être en avance sur son temps ? Sans doute !
A titre d’exemple, pour ne
parler que des morts illustres récents, il semble plus aisé de fredonner du
Delpech sous sa douche que d’entamer une ritournelle boulézienne.
Le public voit un excellent chef d’orchestre mais appréhende
d’écouter la moindre de ses compositions sauf à se caser un paquet de boule Quiès
dans les pavillons.
Boulez, entonne, alité : la mort m’attend et c’est
déconcertant !
La camarde l’emporte, un peu timbrée ; émonde son monde d’ondes
et le mène au silence à la pause infinie…
Il me faudra toute la vie, comme feu ma pauvre mère, pour ne pas
réussir à apprécier sa musique tout en sachant savourer les œuvres qu’il aura digérées,
heu…dirigées.