La Gence s’en est allée ! Non pas l’agence de notation, l’agence de nos stations dans ce monde glauque et carcéral de la pensée unique ! Non, que nenni ! La Gence qui s’en est allée était une fée qui faisait rêver ! Une grande dame de la scène ! Une sylphide de la Comédie Française ! Une amoureuse des grands textes classiques !
Denise Gence vient de nous quitter et avec elle une certaine idée de la dramaturgie sophistiquée, du beau phrasé, de l’élégance raffinée sur les planches de notre héritage théâtral.
Denise, 40 ans de Comédie Française et 125 rôles pour la grande gloire du théâtre. Quelques passages furtifs devant les caméras cinématographiques comme des parenthèses dans une carrière totalement consacrée à la défense des grands textes de notre patrimoine littéraire (Les femmes savantes, le Mariage de Figaro, Les Plaideurs, Le Misanthrope, Tartuffe, Les fausses confidences…)
La Gence, tous risques confondus, s’attaqua aux grands rôles imaginés par nos génies : Molière, Racine, Corneille, Beaumarchais, Feydeau, Beckett…)
« Elle aimait par-dessus tout jouer, jouer sans tricher, jouer pour vivre toutes les vies", affirme l'administratrice générale de la Comédie Française, Muriel Mayette. "Elle était un modèle d'éthique et de talent", ajoute-t-elle.
Tandis que dans le métro se compostent des tickets de tas lents…Le triste théâtre de la vie souterraine...
"Tous les personnages que j'ai interprétés, je les ai cherchés comme opère un plongeur en apnée. Il file par le fond, puis trouve son étoile de mer et revient à la surface avec son trésor", déclarait Denise Gence. Bel hommage aux auteurs, aux faiseurs de rêves, aux autres comédiens aussi…
Lundi Gence se sent mal. Elle appelle son docteur :
- Le poumon, le poumon, vous dis-je !
Durant jours les jours suivants la Gence s’tasse ! Elle se repasse un vieux film de 1975, un des rares où se profile sa frimousse, une œuvre nommée « Chobizenesse » d’un certain Jean Yanne. Elle le revoit, goguenard et moqueur. Mais il aimait la Gence Yanne !
Un mal sournois lance du venin con vers Gence. Elle souffre. Elle aimerait exorciser la douleur en écrivant Gence. Mais elle n’a jamais écrit ! Tout au plus s’est elle livrée à Colette Godard pour une publication de notes parlées (Notes parlées – quoi qu’on die – Editions Ramsay).
Non, toute sa vie fut consacrée au théâtre dont elle reçut le Grand Prix national en 1983. Alors qu’elle sent la bougie baisser d’intensité elle revoit, une dernière fois, le Molière qu’elle a reçu en 1990 pour son rôle dans « Avant la retraite » de Thomas Bernhard.
La statue, qui trône sur la commode, semble lui sourire. Jean Baptiste Poquelin, moulé dans son bronze doré, lui parle doucement :
- Merci Denise de m’avoir autant servi ! Repose en paix ! Tu n’auras pas eu la chance, comme moi, de mourir sur scène (enfin presque !) mais qu’importe ! Quelle belle existence tu auras menée ! J’eusse tant aimé que la Providence fît nous rencontrer et les mêmes passions partager ! Trop de siècles nous auront séparés !!
Et, rassérénée par la voix de son Maître, Denise s’endort à tout jamais…