L’ami Jean
Do vient à peine de nous quitter que, pour lui griller les honneurs rendus à sa
révérence, notre rocker national, fils de Belgique, succombe à son tour d’un
cancer rauque !
En termes
d’emploi du temps nécrologique je ne sais où donner de la tête.
Bon Fabiano,
pas de panique…
Commence par le grand académicien ! Il faut établir les choses dans l'ordre !
Jean est né le 16 juin 1925 d'un père ambassadeur du Front
populaire et ami de Léon Blum ! Il l’invite de temps en temps, d’ailleurs,
et présente la plus jolie nappe au Léon. Le petit Jean suit la conversation des
deux adultes et son ouïe glane une syntaxe emphatique truffée de subjonctifs
imparfaits. Oui, le petit Jean se voit gratifier d’une éducation privilégiée, à
l’ombre d’un Christ : il va sans décrue s’y fier (va sang des crucifiés ?). Mais
Jean n’est pas Christine Boutin. Son catholicisme n’est pas hermétique ;
il s’ouvre à la philosophie, de Platon à Spinoza…
En évoluant comme un poisson dans l’eau dans le bocal libéral
il emmagasine les diplômes. Le voilà agrégé et diplômé d’études supérieur de
philosophie et file au zoo faire une petite cure d’aération car la présence
animale permet l’évasion ! Kant c’est bien mais faut savoir dékanter.
Normalien il trouve normal d’entamer une carrière de haut fonctionnaire. Il
devient président du Conseil
international de la philosophie et des sciences humaines à l'Unesco même s’il
ne rechigne pas à admirer lune, Escaut car il ne perd pas le nord et garde un cœur
de Pierrot ! Il s'essaie à l'écriture avec « l’Amour est un
plaisir » qui reflète déjà un certain hédonisme dont il ne se départira
jamais. Il écrit « du côté de chez Jean » où il parle de lui-même, de
sa jeunesse. Ses œuvres s’imprègnent d’insouciance et d’envie de croquer la
vie en traversant un champ d’ormes et sons, mélodieux, harmoniques.
En 1971, alors que Kroutchev vient de rendre son dernier
soupir, notre homme de lettres fait paraître « la gloire de
l’empire » qui n’a rien à voir avec l’empire soviétique cher à celle qui
sera sa future secrétaire d’académie, Mme Carrère d’Encausse, mais qui relate
une chronique d’un empire imaginaire plusieurs siècles avant Jésus Christ. Ce roman lui vaudra le Grand prix du roman de
l'Académie française.
Académie dont il ouvre la clé d’accès le 18 octobre 1973. Il
y prend le fauteuil 12 laissé par Jules Romains, désormais Knock-out. Sans
oublier son immortalité, notre jongleur
de plumes ne néglige aucunement son statut de directeur au journal Le
Fi-ga-ro ! Qu’il trouve E-p-a-t-a-n-t en savourant chaque syllabe d’une
bouche gourmande. Au Figaro on peut donc
voir le beau marcher, en laissant trainer son beau regard bleu. Le journal
c’est aussi sa vie : c’est là que s’étale
ma vie, va, va mon Jean, se dit-il régulièrement.
La passion romanesque le reprend régulièrement. Dans
« le rapport Gabriel » Jean d’O fait le point sur la foi de l’Homme
en Dieu. Envoyé par Dieu, l’archange Gabriel doit rédiger un rapport sur
l’humanité et se retrouve sur un île où séjourne…mais oui, Jean d’Ormesson,
lui-même !
Oui, l’homme aime se mettre en scène dans ses écrits, parler
de son enfance, des bains dans la mer. P parallèlement
il vous glisse des réflexions philosophiques
pour labourer les terres de la sagesse. Et rarement soc rate !
En 2003 « C’était bien » raconte sa propre vie et
va jusqu’à anticiper la mort de l’auteur.
En 2009, il publie coup sur coup deux ouvrages, « L’enfant
qui attendait un train » un conte qui se déguste mieux qu’un sandwich Sncf,
et « Saveur du temps » qui n’a rien à voir avec un livre de cuisine
puisqu’il regroupe des chroniques au Figaro.
Mais, d’un point de vue culinaire, il se rattrape en jouant
(hé oui, Mr est acteur) au côté de Catherine Frot dans « les saveurs du Palais »
(2012 – film de Christian Vincent), film pour lequel j’avais consacré un billet,
à l’époque.
En avril 2015, Jean d’Ormesson rejoint la prestigieuse
collection de la « Pléiade ». Un aboutissement ! À près de 90 ans, il est le seizième auteur à
y entrer de son vivant !
Mais, alors qu’il mettait tout son cœur à aimer la vie ce
dernier lâchera, dans la nuit du 4 au 5 décembre 2017.
Il décède
dans la nuit du 4 au 5 décembre 2017.
Mais un
immortel peut-il mourir ?
Désormais le fauteuil 12 est vacant sous la coupole. Michel
Drucker le postulerait bien mais il doit d’abord organiser les différentes
émissions panégyriques consacrées à un certain Jean Philippe…
Jean, le charmeur, le jouisseur de la vie, nous laisse une
pléiade de chefs d’œuvre et le souvenir de sa malice…
Du côté de chez Jean vivait saveur du temps
Comme un chant d’espérance
soufflant le vent du soir
C’était bien,
on contait l’histoire du juif errant
La création du monde sous les grands arbres noirs
Jean caressait la vie tout au
plaisir de Dieu
Dans la conversation vibrait l’odeur du temps
Et Dieu, sa vie, son œuvre dans le bleu de ses yeux
La création du monde
abreuvait ses printemps
Le Vagabond qui passe sous une ombrelle trouée
Trouvait en ses pensées le guide des égarés
C’est une chose étrange, à la fin, que le monde
Vienne frapper chez vous à
toute heure et seconde
Dieu, les affaires et nous, chronique d'un demi-siècle,
Du rapport Gabriel se sont lustré les ailes
Qu’ai-je donc fait ici si ce n’est d’en parler ?
La vie ne suffit pas pour cerner le sacré !
Garçon de quoi écrire pour une fête
en larmes
Jean qui grogne et qui rit aura donné ses armes
A la philosophie du précieux
carpe diem
Ah voyez comme on danse quand on sait dire je t’aime
Je dirai malgré tout que cette vie fut belle
Tous les hommes en sont fous qu’elle soit douce ou cruelle
L’enfant qui attendait un train blanc d’utopie
Vous dira mieux que moi cette
fièvre d’envie
Un jour je m'en irai sans en avoir tout dit, oui
Mon dernier rêve sera pour vous, douce agonie
Tant que vous penserez à moi je serai là
C’est l’amour que nous aimons qui croisent nos pas
Au revoir et merci, l’amour est un plaisir
Pas un amour pour rien, pour la
gloire de l’empire
De ces mots qui enflamment et
les âmes fédèrent
Sans embruns qui font les illusions de la mer
Je l’assure : mon dernier rêve sera pour vous
Ni la douane de mer ni les armées debout
N’entraveront ma nage dans
les flots de vos yeux
A vous qui m’aurez lu, me
lirez amoureux
Presque rien sur presque tout : ma plume aura dit
Qu’un certain Casimir mène la grande vie
Pour trouver le bonheur à San Miniato
Traits de philosophie sous de
beaux fabliaux
Je dirai de là-haut : et moi je vis toujours
Ou bien – et toi mon cœur pourquoi bats-tu
d’amour ?
C’est de vous voir me lire
par des matins d’ivresse
Loin des feux ardents, la fureur de lire la presse…