C’est près de Montford-l’Amaury qu’est né Quesnay, en 1694. Ses
parents l’appellent François en hommage à Rabelais qui les faisait rire, tandis
qu’ils auraient pu pleurer en voyant, hagards, gamelles qui chantaient la
maigre pitance. Le père de François n’est qu’un pauvre laboureur toujours en
des prêts-sillons, avances sur trésorerie agraire bien répandue à l’époque.
De cette dépendance à l’argent naîtra la curiosité pour
l’économie. Mais c’est une progression lente. L’homme passe par des méandres
ineffables ! Y naît fable humaine que je vous conte de ce pas.
En
1711, il entre en apprentissage pour cinq ans chez un graveur parisien mais
sans décrocher le moindre CAP. Son père jugeant qu’il a son cas aggravé
l’inscrit à l'université et au collège de chirurgie de Saint-Côme même si, à l’époque,
bien plus que guérir St Côme enterre (saints commentaires ?)
-
A défaut de te faire aux
burins, je te propose te mettre aux beaux reins, voire aux malades. Ici, tu
auras tous loisirs pour observer les foies de morts eus par la cirrhose si
noire. Tu seras paré, comme Ambroise, pour disséquer dix sections de poumon,
les yeux fermés. Tu seras à même d’opérer cinq hommes, en même temps.
Et
le goût du billard a du bon : les études boulent les dernières quilles de
résistance et il fait son trou dans la chirurgie. En 1718 il devient maître
dans la communauté des chirurgiens de Paris. Mais, déjà, sa carrière de
praticien de base le lasse. Il veut grimper.
En
1723, il devient chirurgien royal et entre au service du Duc de Villeroy en
1734. Villeroy ébauche pour lui des projets auquel il devait se lier (pour
céramique) mais il refuse l’offre et, en 1744, se fait décerner le grade de
docteur en médecine. Un bien joli titre qui le propulse médecin de Mme de
Pompadour en 1749 ! Jeanne-Antoinette, née Poisson, aime ce docteur aux
réparties ad hoc, d’un bon ton, en mettant le défaitisme à la raie.
François
lui avoue être physiocrate, c’est-à-dire un économiste qui prône l’idée simple
« seule l’agriculture donne la richesse à un pays. Il faut donc prendre
soin de la terre ! ».
-
Vous allez devenir
économiste et me laisser tomber, s’afflige la noble dame ?
-
Que nenni Madame, j’ai déjà
tant publié pour la médecine, enseigné l’art de guérir à en saigner, celui
d’éradiquer la gangrène en dépit de l’opposition de gangs rennais qui voulaient
l’étouffer, et souffrez Madame que je vous présente mon traité sur les fièvres
continues !
- Très intéressant ! Je
le lirai quand j’aurai du temps ! Mais parlez-moi encore des
physiocrates !
Et
François évoque sa rencontre avec le Marquis de Mirabeau. Tous deux réfléchissent sur ce qui fait la
richesse d’un pays. Ils ont mis sur pied un tableau économique qui met en
exergue l’importance de l’agriculture. C’est un schéma qui rabote un peu (d’où
le terme de mi-rabot) la complexité des échanges entre les facteurs économiques
en se basant sur trois grandes classes :
1.
la classe
productive, c'est la classe des fermiers (celle à laquelle appartenait son
père) qui est le groupe social à l'origine de la production annuelle globale
puisque l'agriculture est la source unique de la richesse. Et tandis que Louis XV aime la chasse et Louvres, le paysan la ferme !
2.
la classe
des propriétaires est le groupe formé par l'aristocratie,
le souverain, et le clergé qui, sans cultiver la terre, s'approprie
annuellement le «produit net » sous
forme de rente
ou d’impôt (taille, dime, gabelle) payés par la classe productive ;
3.
la classe
stérile est représentée par tous les autres groupes, occupés à d'autres activités
que celles de l'agriculture : intermittents du spectacle,
péripatéticiennes, marchands de sommeil, créateurs de journaux satiriques aux
pattes palmées…Il devient souvent insupportable, pour les productifs, de se
faire aux stériles, austère île d’inutilité (mais pas encore ce féroce terril
car l’exploitation des mines n’est pas d’actualité, à cette époque).
La Pompadour
est subjuguée par tant de génie mais lui demande, quand même, quel est l’avenir
de ce modèle Quesnaysien.
-
Non, pas
Quesnaysien, ô Marquise, car le Keynésianisme ne naîtra que bien plus tard. C’est
juste une ébauche physiocrate, une explication de notre économie par le
gouvernement de la nature. Seule, la Terre apporte des richesses : il
nous faut des champs donneurs, des prés verts desquels on pourra tirer impôt
éthique ! Il nous faut, laiterie, ânons…
- -
Les Trianons !
Non, le Trianon ! Il n’y en a qu’un ! Celui qu’est en train de me
construire mon cher Louis XV ! Il me servira d’ailleurs de bergerie si le
temps m’est donné de le voir achever.
Hélas, la
belle dame mourra avant de voir l’œuvre finie. Elle s’éteint en 1764, à
Versailles, sans que le médecin, devenu économiste, ne puisse trouver le remède
sain ! Quesnay mourra, 10 ans plus tard, en laissant des œuvres qui feront
méditer Adam Smith, Marx ou encore Léontieff, le père des matrices et tableaux
d’échanges interindustriels.
Depuis Quesnay,
on sait qu’une économie, comme un corps humain, peut être malade si un de ses
membres bat de l’aile. Une mauvaise récolte de blé, en lien avec la sécheresse,
aura une répercussion sur le prix du pain, mettra dans le pétrin le chef
cuisinier, rendra croissant le problème de l’intendance à bas prix pour les armées qu’on mène à la
baguette !