C’était
en 2014, en février. La tempête Andréa avait frappé le littoral atlantique et
la plage de Lacanau, en Gironde, avait perdu cinq à dix mètres sous les assauts
de l’océan.
C’est
à cette époque que Catherine Ceylac, après avoir hésité entre thé et café, s’était
concocté, in fine, un chocolat chaud avant que de sortir prendre l’air et d'être en jetée (et d'étranges thés ?). Elle avait
quitté ce petit meublé loué sur place et, la tempête s’étant essoufflée, avait
profité d’un rayon de soleil pour se faire une cure d’iode.
Sur
la plage gît rondin. De ce tableau déborde laid, sinistre le sentiment d’abandon.
Qu’elle
ne fut pas sa surprise de croiser Jean Jacques Annaud. Le cinéaste ne la
reconnut pas. Elle avait l’impression qu’il
rasait les murs à défaut de sa chevelure blanche de plus en plus
impressionnante. Catherine crut d’abord qu’il faisait l’ours mal léché sortant
de sept ans au Tibet sur un coup de tête ! Elle l’interpella :
- Hé, Jean Jacques, c’est moi, Catherine Ceylac !
L’homme
ne réagit pas et il n’y avait guère du feu dans son regard fatigué.
- Catherine Ceylac, de France 2 ! L’émission « thé
ou café » !
L’homme
la dévisagea, hébété, puis se risqua :
- Désolé, je ne connais pas tout le monde ! Je ne
vais pas vous faire du cinéma : votre tête ne me dit rien !
Catherine
s’enflamma :
Ma
tête non ! Mais ma bouche oui ! Elle vous dit que je suis Mme Ceylac !
Vous ne m’avez jamais vue à la télé ?
L’homme
lui tournait le dos, hypnotisé par le désastre de la tempête :
Qui
que vous soyez, Madame, vous n’êtes qu’un grain de sable dans cet univers en
colère. Regardez-moi cette apocalypse. Les éléments se sont déchaînes. La
nature reprend ses droits ! Érosion, tempête, montée des eaux seront le
lot de l’humanité dans les années futures. Ici même on construira une digue.
Mais elle ne durera pas. D’autres tempêtes afflueront, à qui on donnera de
jolis prénoms comme Carmen ou, je ne sais quoi d’autre encore, peut-être
Eléanor. Ce genre de vain combat, belle illustration du mythe de Sisyphe, pourrait bien faire l’objet de mon prochain long métrage. C’est pourquoi je
suis venu ici ! Trouver mon inspiration.
Catherine
se piqua de curiosité :
Mais
c’est un cas fait récent, heu un thé
récent, heu… intéressant ! Vous aimeriez qu’on en parle en face à face
lors de mon émission ?
Le
cinéaste se retourna, la fixa dans les yeux :
Je
n’en vois pas l’intérêt !
La
dame cathodique, d’un ton catholique, fit preuve de courtoisie :
Allez,
on en parle autour d’un pot !
Un
pot ! Le mot résonna dans sa tête et devint impôt. Il se sentit mal dans
son assiette ! Une autre tempête souffla dans son crâne, dont il ne
pouvait se vanter. Il se vit, sous le vent, soulevant des remords d’avoir placé
sa richesse aux paradis et aux liens
éoliens des îles Caïman.
Il
sortit de sa torpeur, esquissa un sourire et finit par dire, laconique :
Ok !
C’est
à ce moment-là qu’un touriste prit une photo à la dérobée, utilisant un
smartphone scélérat. Jean-Jacques le somma d’arrêter mais il était déjà trop
tard. L’homme avait pris jambes à son cou comme le dernier loup échappant à une
meute de chasseurs mongols fiers.
Et
c’est cette dernière image qui influença le metteur en scène…