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samedi 14 octobre 2017

UN ENFANT SUR DOUAI





France élève seule son petit Michel. C’est une fille mère douaisienne  qui fait de son mieux. Elle aurait moins de tracas si son petit Michel n’était pas surdoué !  A trois ans, l’enfant sait déjà écrire « anticonstitutionnellement »  et bat régulièrement sa mère au Scrabble. France aurait voulu voir Michel berger, un métier qu’elle-même aurait tant aimé exercer ! Elle devra faire son deuil : l’enfant est vraiment un génie ! Peut-on imaginer un génie garder les moutons, accompagné d’un chien ?

En parlant de chien,  France a eu un mal lié à ce canidé pour trouver une crèche digne de sa progéniture.

Elle l’a enfin trouvée.

C’est la crèche « Art » qui, comme son nom l’indique, s’occupe des petits artistes en herbes, les Gainsbourg ou Van Gogh de demain.

Dès le matin c’est le branlebas de combat. Michel est levé dès 6 heures et son horloge biologique ne suit plus depuis un bon moment le rythme circadien. Il mange avec un lance-pierres sa tartine de Nutella tout en fustigeant France de continuer à acheter cette saloperie engorgée d’acide palmitique et qui menace votre IMC.

Les yeux cernés France écoute les jérémiades de son fils et fait de son mieux pour le mener à la crèche au plus vite. L’enfant se magne d’arriver ! Il a hâte de montrer ce qu’il sait faire.

Aujourd’hui la puéricultrice,  bac+5 (DESS en psychologie de l’enfance) mais néanmoins contrat aidé, lui propose un travail de récupération et d’imagination :

-         Hier nous avons réalisé des poupées de cire et des poupées de son ! Il ne reste plus de cire mais, en revanche, il y a un stock de son de blé que tu pourrais utiliser. Tu disposes également de feutrine. Je te propose de réaliser une œuvre en feutrine qui doit aborder le thème de voyage voire de l’exil ou éventuellement les flux migratoires. C’est très tendance !
-         D’accord Anaïs (oui, elle s’appelle Anaïs), mais peux-tu me refiler deux francs ?
-         Deux francs ? Tu veux dire deux euros ?
-         Non, non ! Deux francs ! Ceux qu’on utilisait jadis ! Tu dois bien avoir ça dans tes tiroirs ?
-         Heu, attends, heu, oui…je crois !

Anaïs retrouve au fond d’un tiroir deux pièces de 1 franc mélangées dans un capharnaüm de petits objets susceptibles de devenir un jour œuvres d’art : boutons de braguette, bouchons de liège, perles diverses, coquilles de noix…

-         Voilà Michel ! Je te laisse carte blanche ! Tu vas faire quoi avec ces deux pièces de 1 Fr ?
-         Ah, ah, surprise, surprise !!!

L’enfant s’active aussitôt. De carburation cérébrale en motricité fine il déroule toute la palette des capacités. Anaïs l’observe avec admiration tout en le gavant d’un fond sonore du plus haut niveau : des chansons de Boby Lapointe que l’enfant fredonne tout en continuant son œuvre.

Une heure après le résultat est très probant ! Michel a réalisé un bateau à deux mâts. Le premier mât se termine avec une forme de hauban à base de son que l’enfant a collé sur une feuille blanche. Le second mât trouve à son faîte les deux pièces de 1 Fr.

La coque est en feutrine mauve. L’enfant y a inscrit, au fin pinceau blanc, la phrase « Maçon aime Afrique ».

-         Ça veut dire quoi, lui demande Anaïs quelque peu dubitative ?
-         Mais enfin Anaïs ! C’est de l’holorime tout ça, bon sang ! On peut comprendre « Mât son et mât fric » ! Voilà pourquoi il me fallait ces deux pièces de 1 fr !
-       Ah, ah ! Subtil ! Bravo Michel. et le monsieur là, avec sa tête d’œuf, heu, c’est un maçon ?
-        Affirmatif. Et je lui ai collé de chaque côté du crâne une queue ! C’est une jolie  coiffure à deux queues !
-         Je vois…Mais heu, respectes-tu le thème ?
-    Ben, ça se voit non ! Le maçon quitte son pays pour l’Afrique ! C’est un travailleur détaché ! Il n’a plus de travail en France car les emplois sont refilés à des Polonais !
-         Ah, oui ! Ah, tu sais moi et la politique !

Michel a été fin content de montrer son œuvre à sa mère. Comme elle n’y comprenait rien, il a dû bien prendre son temps pour expliquer.

France a raconté les exploits de son fils à des membres de la chorale dont elle fait partie, pour occuper le peu de temps libre qui lui reste.

Le chef de chorale, Serge, compositeur à ses heures perdues, lui  a alors proposé de relater cette histoire sous forme de chanson. De chanson courte mais de chanson quand même.


Peu de temps après, à la demande pressante de Serge, France apprenait la chanson et l’interprétait à merveille, faisant naître un clip qui devait devenir un incontournable tube pour son entourage…