Un enfant mort, échoué sur une plage
turque. Jeudi 3 septembre, une seule et même image s'affiche à la
"une" de la presse européenne. Il s’agit d’un garçon syrien dont la
famille, qui a fui la guerre civile dans son pays, tentait de rejoindre la
Grèce par la Turquie.
L’enfant porte un nom, Eylan Kurdi, mais il
est désormais la figure du petit martyr de l’immigration impossible, ballottée par les vagues et sous l’emprise de passeurs mafieux qui se nourrissent de la
misère du monde.
Eylan symbolise, à lui seul, l’impasse
actuelle des politiques migratoires qui, au sein de l’Europe, jouent la
cacophonie. Si certains pays ouvrent enfin les bras (l’Allemagne, la Suède)
d’autres restent frileux (la France) et certains, aux relents nationalistes,
rejettent toute idée d’intégration (Hongrie et son mur de la honte).
L’Europe divisée face à un phénomène
implacable. La force de Daech, insuffisamment contenue par les frappes
aériennes, le chaos syrien, les vestiges de l’Irak que les USA auront
déstabilisé, la famine et les guerres civiles sont autant de raison de quitter
son pays, coûte que coûte, au péril de sa vie. Le mouvement semble inéluctable.
Oui phénomène inexorable qu’il faut
accepter d’autant plus que nous, Occidentaux, ne sommes pas innocents dans l’apparition
de tels désordres. Nous avons vendu des armes et nous en vendons encore à des
pays que dirigent des dictatures ou des familles abonnées au népotisme et à la
corruption. Nous restons frileux dans le combat contre l’Etat islamique et, au
nom de la crise, investissons peu dans l’aide au développement.
Les flux migratoires comme un boomerang d’une
économie égoïste qui enrichit toujours davantage l’opulent en mettant sur le
carreau l’indigent, l’illettré, l’intouchable…
Oui, Eylan, petit corps sacrifié, donne un
visage à toute cette misère fruit d’un dogme ultra-libéraliste qui sacrifie le
bonheur futur de l’humanité pour des rendements de court terme dont ne
bénéficie qu’une minorité.
Oui, Eylan, bien plus que ces anonymes qui
ont péri dans un camion frigorifique, en Autriche et bien plus que nos miséreux
qui errent à Calais, illustre, en son ultime cliché macabre, le désespoir d’une
course vers l’Eldorado. Une quête du Graal plus subie que voulue.
Alors, même si l’instrumentalisation n’est
jamais très loin, la diffusion de cette photo peut créer une véritable prise de
conscience et nous faire dire « we are all migrants ».
N’attendons pas trop des Etats et faisons confiance aux initiatives
citoyennes qui se lèvent un peu partout en Europe, où l’individu se mobilise
pour accueillir celui qu’il aurait pu devenir : un rescapé de l’ignominie
humaine.
Le petit corps au pied de l’écume des
vagues
Le visage tourné vers le sable éternel
L’humanité s’émeut mais la raison
divague
Sur la planète bleue des morbides
querelles.
Un enfant échoué sur la grève tragique
De ces tueries pérennes qui abreuvent
l’horreur
Terrorisme effréné, coups d’éclats
politiques
Sauvageries cruelles au talent d’égorgeur
Un gamin de Syrie, échappé de la guerre
Achevant l’odyssée en de funestes flux
Un petit chérubin égaré dans l’enfer
De cette humanité qui ne respire plus.
La conscience s’ébranle face à
l’insupportable
L’innocence en pâture à la bête cupide
Qui d’une main vend l’arme et de l’autre
comptable
Gère
en frilosité les marées
d’apatrides
L’angelot sacrifié, ses deux ailes
abattues
Dans le ciel outragé de nuageux destins
Comme ultime blessure dans l’amour qui
s’est tu
Comme un sillon de honte dans le creux
de nos mains
Tout le dérèglement de ce monde perdu
En cet instantané de l’abomination
Abreuvé d’égoïsme et d’aveugles vertus
A soulager fardeau des interrogations
Insoutenable vue dont l’empire
médiatique
Feint d’avoir expurger le culpabilisant
A chacun sa conscience en son ère
pathétique
A chacun de glisser dans la peau d’un
migrant…
Le petit corps au pied de l’écume des
vagues
Le visage tourné vers le sable éternel
L’humanité s’émeut ; on voudrait
qu’une dague
Trucide, irrévocable, le mal universel.