Alep, la
ville des festivals, des chants séculaires, des souks et des caravansérails,
brillait alors de ses mille feux.
Alep,
qu’ont-ils fait de toi ?
Dix ans se
sont écoulés dans les méandres vertigineusement meurtriers d’un conflit local
qui puisait, à l’origine, une issue salvatrice dans la mouvance des printemps
arabes.
Les insurgés
pensaient réellement détrôner Bachar-Al-Assad puisque les Tunisiens avaient
bien chassé Ben Ali et que les Egyptiens s’étaient débarrassés de Moubarak.
Mais la
terre de Syrie s’est enfoncée dans les
abîmes d’une guerre sans fin. Le maître de Damas a riposté de ses armes
épouvantables et l’Occident n’a pas bronché. La Russie de Poutine a soutenu le
tyran qui garantit l’équilibre géostratégique de la région et reste, à ses
yeux, le seul garde-fou contre la menace
terroriste de Daech qui s’est invitée au banquet martial depuis trois ans.
Dans l’effroyable
drame qui frappe encore les ruines de la ville martyr ne demeurent que des
lambeaux de résistance au cœur des quartiers orientaux. Ils sont désormais
encerclés par les troupes syriennes aidées d’alliés russes et iraniens. La
chute est imminente, pensent les observateurs militaires. Si elle s’avère, ce
sont des milliers d’âmes sans toit, sans abri et sans espoir qui chercheront
asile vers la Turquie voisine.
Or le sultan
Erdogan, depuis un coup d’état militaire qui a cherché à l’évincer, n’a plus
guère envie d’héberger la misère du monde. Il a bien trop à faire dans la purge
qu’il instaure en son pays. Il risque fort d’enterrer l’accord conclu avec l’Union
Européenne : gestion des réfugiés contre processus d’adhésion de la
Turquie à l’UE et levée du régime des visas pour les citoyens turcs.
Oui, Erdogan
pourrait ne plus vouloir jouer les bons samaritains. Le peuple d’Alep n’aurait
d’autre recours que de frapper aux portes d’une Europe déjà fortement étranglée
par les flux de réfugiés.
Dans ce
drame attisé de bombes russes, l’image d’un enfant victime du chaos, petit fantôme
sorti des ruines, a bouleversé le monde entier.
Comme le
petit Eylan, ange échoué sur une plage turque, Omran, 5 ans, le visage
ensanglanté, apporte un tableau tragique à l’iconographie d’une guerre aveugle
dont les enfants sont les innocentes victimes.
Eylan comme
Omran, en émouvant le monde entier, nous replongent dans l’affection
compassionnelle, quand bien même l’instrumentalisation de leur petit corps
meurtri n’est pas sans poser quelques questions de déontologie journalistique.
Eylan
comme Omran, icônes de l’enfance martyrisée, nous rappellent les terribles
agissements de notre humanité et le sombre avenir des populations exsangues,
misérables cohortes sur les chemins de l’exil.
A quoi pense l’enfant ressorti de
l’enfer ?
Sous les grises poussières des damnés de
la guerre
Vers où se portent en vain ses pauvres
yeux hagards
Quand le sang sur sa joue peint le
sinistre fard ?
Omran sorti vivant de l’antre du chaos
Une incrédulité supplée à ses sanglots
Dessous les oripeaux un petit cœur qui
bat
Comme un chant éploré sous le noir des
combats.
A quoi pense l’enfant, loin des jeux de
Rio
Des médailles glanées sous des cieux
estivaux ?
La mort enterre encore tous ses contes
de fée.
Omran n’a que cinq ans, l’avenir sous la
braise
Aux pommes des menottes quelques lignes
mauvaises
Dessinent le destin des enfants
condamnés.