Alors que je partais visiter les
ruines émouvantes d’un ancien bagne de Corse, celui de la forêt de Chiavari (au
sud d’Ajaccio), j’apprenais la terrible nouvelle sur les ondes d’une radio
qui trônait à droite du volant de mon véhicule. Oui, une bien terrible
nouvelle : un prêtre venait d’être égorgé, en ce mardi 26 juillet, alors
qu’il célébrait la messe en sa paisible paroisse de Saint-Etienne-du-Rouvray,
près de Rouen (Seine Maritime)
Un scénario horrible,
inimaginable, au nom d’un djihadisme aveugle qui, déjà, durant la nuit du 14
juillet, avait frappé de son abjection létale la promenade des Anglais, à Nice,
par l’élan assassin d’un monstre semi-remorque,
lancé autant furieusement qu’aveuglément sur la foule et qui avait provoqué 84
morts sur le coup.
Un été meurtrier, pensai-je
alors, tout en me ressassant la phrase que l’on prête à André Malraux (à tort
semble-t-il) : « le XXIe siècle sera spirituel ou ne sera pas ».
L’agnostique Malraux devait songer à une religiosité intériorisée, capable de
nous rendre plus humain. Hélas, ce 21ème siècle commence par du sang versé au
nom d’une religion nihiliste qui se permet d’endosser les vêtements coraniques
pour justifier sa monstruosité !
Daech revendique les actes des
loups solitaires qu’il a radicalisés. Les cibles sont des symboles qui fondent
notre unité : la fête nationale, le prêtre catholique, le dessinateur de
caricatures, la jeunesse aux terrasses, l’amour de la liberté, la communion des
sens exaltés par les vibrations intenses de cordes métalliques au cœur du
Bataclan.
Daech utilise le Coran pour
justifier sa croisade contre les apostats, c’est-à-dire contre ceux qui
refusent leur vision du néant, qu’ils soient catholiques, juifs et même
musulmans pour peu qu’ils s’intègrent harmonieusement dans un modèle
occidentalisé aux couleurs de la démocratie et du respect d’autrui.
Et je repensais à ce prêtre,
âgé, Jacques Hamel, 86 ans, mort en martyr.
Et je repensais à ce religieux
qui, les jours précédents, avait invité ses fidèles à prier pour les victimes
de Nice, quelle que soit leur confession ; car ils étaient tous fils de
Dieu.
Et je ressentais comme un
vertige, le long de ma promenade embaumée de senteurs d’eucalyptus, comme un
sentiment de chaos imminent, une sinistre présence de menace permanente.
Et je prenais conscience, en
cette forêt du sud d’Ajaccio, d’un début de XXIème siècle entièrement désemparé
par l’effacement du sacré, par l’essor des individualismes nourris d’écrans
tactiles et de virtualité, par l’absence de réponses immédiates pour éradiquer
le monstre que nous avions sûrement engendré, dans les méandres du passé…
Le père Hamel s’en est allé
Au bout de son chemin de croix
Son sang a sublimé la foi
De la douceur martyrisée
Va-t’en Satan, lance l’agneau
Avant de succomber à terre
Au sol béni de ses prières
Sans plus de haine pour le bourreau
C’est le sacré que l’on égorge
Au cœur de l’humble sanctuaire
Et le Djihad victimaire
De profanation se rengorge
En forêt de Chiavari
Les arbres géants de leur ombre
Attisent une aquarelle sombre
En ce moment lourd d’agonie
Les vieilles pierres en pénitence
Suintent au cœur de mes pensées
Comme une plaie pérennisée
Par le passé de nos errances
Mais la clairière un ciel ouvert
Présente en chemin d’espérance
Le bleu manteau de tolérance
Au corps blessé de l’Univers
Comme une promesse fragile
De religions entremêlées
Guidant les pas d’humanité
Loin des contingences hostiles
Comme cette force végétale
Recouvrant le pénitencier
Le souvenir des suppliciés
L’effroi des punitions brutales
Comme un cauchemar éventré
Dans le concert de nos louanges
Qu’on croie aux Dieux, qu’on croie aux anges
Où qu’on navigue en mer athée…
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