Depuis ma plus tendre enfance on m’a écarté du diable rouge. Plongé dans un univers teinté de bonnes intentions chrétiennes, repeintes aux couleurs de Vatican II, je n’ai guère eu loisir de m’intéresser aux communistes. Il m’était interdit de lire Pif, ce merveilleux petit journal où prospéraient Placid et Muzo, si j’ai bonne mémoire. Prétexte : c’était un journal édité par les communistes ! Il me fallait donc le lire, épisodiquement, en cachette, chez un ami. A bien y réfléchir, je préférais dévorer le Club des Cinq de la bibliothèque rose. Ah, les braves amis
(4 enfants et un chien du nom improbable de Dagobert !) ; voilà des jeunes gens, bien éduqués, et qui savaient éradiquer les méchants voleurs entre deux repas copieusement garnis que leur concoctait une cuisinière huppée, triée sur le volet vernis d’un grand manoir britannique.
Mon père lisait « Témoignage Chrétien ». A bien y réfléchir, quand j’y repense, c’était quand même un journal chrétien...mais de gauche. On y dénonçait la torture en Algérie, on stigmatisait les dangers du capitalisme…mais sans pour autant vanter l’attrait du marxisme !
J’ai grandi en continuant à me méfier des marxistes. Un coup de Marx…et ça repart pas !!
Un soir, je regardais un match de football : France-Belgique !! A ma grande surprise le commentateur cita plusieurs fois l’appellation « diables rouges » pour évoquer l’équipe des mangeurs de frites. Allons bon, si des joueurs portant un maillot rouge se font traiter de diables on ne comprend pas comment on pourrait les supporter (dans le sens « encourager »).
Or visiblement les supporters belges encourageaient leurs diables, qui se démenaient fort bien.
Il m’a fallu me rendre à l’évidence : le diable rouge pouvait être aimé, voire adulé (comme la nourrice) !
J’ai commencé à changer mon regard sur l’homo communistus en éclatant de rire à toutes les tirades de Georges Marchais ! Quel rigolo celui-là ! Il déridait le communisme à lui tout seul !
Même sa marionnette du bébête show n’avait pas son équivalence en truculence humoristique.
Malgré tout, il y avait encore un frein à déposer un bulletin rouge dans l’urne.
Jusqu’au jour où je vis apparaître le nom de mon voisin en dixième position sur la liste communiste présentée dans le cadre des municipales. Mon sang n’a fait qu’un tour !!
- Comment, ai-je dit à mon père, comment cet homme peut-il se mettre avec les rouges alors qu’il s’est toujours proclamé socialiste !!
- Hélas, répondit mon père ! Les gens changent d’avis comme de chemise. C’est comme mon collègue de travail. Il m’a dit qu’il voterait pour Mitterrand alors qu’il a toujours été de droite ! Il est devenu si rose qu’il en a eu une crise de foi !! Il ne croit plus en
Giscard (c’était en 1980) !
Le temps a passé et puis l’incroyable s’est produit ! Au premier tour des municipales de 2008 j’ai voté communiste. Oh, bien sûr je pourrais me dédouaner en disant que j’ai porté mon dévolu sur une liste qui amalgamait LCR (Trotskystes), Ecolos, Communistes et Alter mondialistes (les potes à Bové) : donc ce n’était pas du 100 % communiste pur jus !
Il n’empêche !
Je l’ai tellement mal vécu que j’ai couru vers l’église pour m’y faire confesser !
L’église était fermée. Sur la porte un petit panonceau indiquait : « grève des prélats qui ont besoin de se prélasser ! Mort aux cadences infernales ! »
Ca sentait la rébellion, la lutte des classes !! Incroyable…
Je me suis rendu au presbytère dans l’espoir de voir mon curé.
Il était là, mais ne me reconnut pas tout de suite (il est presbyte et sans lunettes le presbyte erre !)
- C’est moi, Fabiano !
- Ah ! Fabiano ! Quel bon vent t’emmène ?
- Ah mon père ! J’irai droit au but : inutile de nier..
- Du culte !!
- Pardon ?
- De nier du culte, denier du culte. Tu vois Fabiano c’est contagieux les calembours !
- Oui bon, heu.. Blague à part, heu, bon… Je voudrais me confesser !
- Te confesser mais pourquoi donc ?
- J’ai voté communiste !
- Donc tu as fauté !
- Pas drôle mon père ! Je voudrais votre pardon !
- Mais ce n’est pas une faute !! Moi aussi j’ai voté communiste !
- Comment !! Vous ? Un homme si saint !
- Un saint c’est souvent une statue ; le saint n’est que terre, ah ah elle est bonne !!
- Oui bon, trêve de billevesées, vous dites que ce n’est pas un péché car vous aussi…
- Oui j’ai voté rouge. Plutôt par sentimentalisme voire par esprit de famille
- Comment cela ?
- Regarde la liste que nous avons choisie : vois, là, en 16ème position !
- Je ne connais pas, c’est qui ?
- C’est mon fils !
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