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vendredi 13 septembre 2013

JACQUARD ET SES NENUPHARS



Le généticien Albert Jacquard vient de décéder d’une forme de leucémie, à l’âge de 87 ans.Plus que scientifique on l’aura connu comme humaniste, utopiste, défenseur des sans abri et médiatiquement ancré au panthéon des voix de la sagesse.

Albert Jacquard était né à Lyon comme, on peut le présumer, son lointain aïeul, un certain Joseph Marie Jacquard (1752-1834) père du métier à tisser semi-automatique ! Mais si son ancêtre fut accusé de mettre les canuts (fabricants de soie) au chômage, Albert sera porté aux nues en défendant les chômeurs devenus sans abri !

Mais avant de devenir l’humaniste qu’on admire le jeune Jacquard aura traîné ses guêtres à l’Ecole Polytechnique et à l’Institut des statistiques. Il va travailler à la SEITA (manufacture des tabacs) mais s’y gare peu de temps. Le Ministère de la santé l’appelle (est-ce pour lui reprocher d’avoir œuvré pour une machine à fabriquer des cancers du poumon ?). Il va ensuite s’orienter vers une carrière scientifique. Stanford  (USA) l’accueille dans ses laboratoires où il étudiera la génétique, sans gêne mais avec éthique. Puis il revient en France, à l’INED (Institut National d’Etude Démographique) et ne retiendra qu’une anagramme de ce sigle : DINE car l’homme a besoin de nutriment, génétiquement parlant. Il réfutera le second : un certain DENI trop proche du mensonge ! Car Jacquard sera toujours en quête de vérité ! On le retrouvera plus tard dans des Universités en bon petit prof (il fait vraiment penser à Prof le nain le plus intello de Blanche Neige avec son collier !) Que ce soit Genève ou Paris VI, il laissera de bons souvenirs à ses étudiants.

Ces travaux scientifiques vont être reconnus : Jacquard a du métier et tisse sa reconnaissance officielle. Ill sera nommé officier de Légion d'honneur et commandeur de l’Ordre national du Mérite par le président Valéry Giscard d'Estaing en 1980. Il recevra le prix scientifique de la Fondation de France avant d’être nommé membre du Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé de 1983 à 1988.

L’homme aurait pu s’arrêter aux honneurs et à la gloire, installé au  pinacle de la science infuse. Mais Albert veut faire de sa vie une œuvre utile, « je veux être utile » comme disait Roda Gil dans la voix de Julien Clerc. Sans quitter le sens du professorat et de la pédagogie, il s’investira dans des combats en faveur des démunis, des génétiquement mal programmés, des rebuts d’une société impitoyable. Il sera le grand ami de l’Abbé Pierre et viendra soutenir l’action du DAL (Droit au Logement). Il fait partie de ceux qui occupent l’immeuble de la rue du Dragon en 1994 ou l’Eglise St Bernard en 1996.

Sur des ondes radio il fustigera «l'économie triomphante» et les méfaits du capitalisme avec les problèmes de pollution, la société des poubelles trop vite remplies, la nécessité de partager les ressources. En 1994, il sera l'un des fondateurs de l'association Droit Devant. Il exhibera fièrement sa bannière d’écologiste convaincus et soutiendra des candidats d'Europe Ecologie les Verts bien moins écolos que lui, lors des élections législatives.

Défenseur d’une décroissance joyeuse Albert aurait pu, encore un peu, blâmer son aïeul Joseph Marie qui, bien avant Schumpeter, montrait qu’une innovation technologique générait de la croissance d’un nouvel ordre ! Mais quelle croissance ? Produire davantage de vêtements de soie en utilisant de moins en moins de main d’œuvre ? Pour transposer à notre époque moderne : augmenter chaque année de +3 % la production automobile mondiale de telle sorte que, dans vingt ans, chacun ait une vingtaine de voitures ?

C’est un non-sens que cette croissance, aimait à répéter le brave généticien !
Comme on a tendance à lui donner raison ! De nouveaux économistes pourfendent l’idée du PIB qui n’est qu’une mesure quantitative absurde et lui préfèrent le BNB, le Bonheur Intérieur Brut. Une mesure d’un bonheur qui ne passe pas uniquement par l’accumulation des richesses, la rente ou la soif de posséder.

Mais une mesure de bonheur à l’étalon qualitatif dans un univers respectueux de la nature et des écosystèmes.

L’utopiste Jacquard y croyait dur comme fer !

Il ne tient qu’à nous de continuer son sillage et de rendre l’utopie universellement réalisable.


Alors, puisque nous te pleurons tous, je t’adresse ce petit extrait d’une chanson d’Yves Duteil. Elle ne t’était pas destinée mais, petit prof de la génétique et grand amoureux de l’humanité elle te va si bien !

Repose au cœur des orchidées
Petit patron des naufragés
Ton petit cimetière
Est grand comme la terre
Et dans le cœur des gens heureux
Petit Docteur tu dors
Pleure le cœur des amoureux
Petit Patron est mort

Petit Patron des nénuphars (*)
Repose au cœur de nos mémoires
Ton travail n'est pas terminé
Tu dors sur tes lauriers
Mais c'est pour la première fois
Petit Docteur qui dors
Mais c'est pour la dernière fois
Petit Patron est mort


(*) Petit clin d’œil à ce nénuphar qui a tant captivé Jacquard au point où il en fit le point d’ancrage d’une jolie parabole.

L’équation du nénuphar illustre bien le phénomène de la croissance dans un milieu fermé. Imaginons un nénuphar planté dans un grand lac qui aurait la propriété héréditaire de produire, chaque jour, un autre nénuphar. Au bout de trente jours, la totalité du lac est couverte et l’espèce meurt étouffée, privée d’espace et de nourriture.
Question : Au bout de combien de jours les nénuphars vont-ils couvrir la moitié du lac ? Réponse : non pas 15 jours, comme on pourrait le penser un peu hâtivement, mais bien 29 jours, c’est-à-dire la veille, puisque le double est obtenu chaque jour.
Si nous étions l’un de ces nénuphars, à quel moment aurions-nous conscience que l’on s’apprête à manquer d’espace ? Au bout du 24ème jour, 97% de la surface du lac est encore disponible et nous n’imaginons probablement pas la catastrophe qui se prépare et pourtant nous sommes à moins d’une semaine de l’extinction de l’espèce…
Et si un nénuphar particulièrement vigilant commençait à s’inquiéter le 27ème jour et lançait un programme de recherche de nouveaux espaces, et que le 29ème jour, trois nouveaux lacs étaient découverts, quadruplant ainsi l’espace disponible ? Et bien, l’espèce disparaîtrait au bout du … 32ème jour !
Texte d’Albert Jacquard , L’Equation du nénuphar, Calmann-Lévy, 1998 cité dans N. Ridoux, La Décroissance pour tous, Parangon (2006)

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