Denise, en naze n’avouera pas l’an (en
Aznavour à pas lents ?), oui l’an maudit qu’elle a passé sur tweeter.
Denise, des Vosges (contrepet) y a
laissé sa santé et l’équilibre familial.
Trop de temps passé, dès le matin, à
trouver le petit billet de moins de 140 caractères pour tenter de se faire
aimer tandis que, tout près d’elle, dans leur enveloppe charnelle, le cœur de
son mari et celui de son enfant ne
battaient que pour elle.
Elle a passé du temps, sans répit, jour
et nuit, pour réussir (pensait-elle), pour gravir le sommet. Mais en oubliant
ses amis, son amour, ses emmerdes !
Non, Denise n’avouera pas car elle a sa
fierté.
Cette fierté qu’elle nourrissait en
voyant venir à elle de nouveaux followers (des gens qui vous suivent sur
tweeter).
Cet orgueil démesuré qui la poussait à
se retweeter (relancer son propre tweet sur la toile) puisqu’on n’est jamais
aussi bien servi que par soi-même dans ce milieu très narcissique.
Non, Denise n’avouera pas qu’elle se
voyait déjà en haut de l’affiche tandis que son mari, au plus profond du dépit,
lançait :
Tu
t’laisses aller, tu t’laisses aller !
Alors progressivement Denise a pris
conscience que le petit oiseau bleu lui gâchait la vie. Elle a pris l’angle des
« plaisirs démodés » : Tweeter n’est qu’une fabrique de vieux
jeux de mots pourris qu’on recycle à l’infini. Tweeter n’existe que pour
combler l’ennui dans un monde qui ne fait plus rêver, sur une planète anxiogène.
Pire, Tweeter nous afflige de billets racistes, islamophobes et, comble de
malheurs, bourrés de fautes d’orthographe !
Tweeter demeure le royaume de l’instantané
compulsif, de la saute d’humeur incontrôlée, de l’information non vérifiée, du « Chirac
mort » boutininisé !
-
Désormais, on ne nous verra plus ensemble, a-t-elle lancé un jour à sa Tweet Liste (TL), cette
ribambelle de niaiseries, de gazouillis insupportables (et toujours moins bien
rédigés que les siens) qu’elle recevait des gens avec qui elle avait cru
judicieux de communiquer quand bien même se cachassent-ils sous un pseudonyme
agrémenté d’un avatar.
Denise s’est désintoxiquée et a quitté l’oiseau
bleu. Elle s’est auto-radicalisée positivement.
Elle revit, respire, ne jalouse plus sa
copine Carole qui se « la pétait » en s’enorgueillissant d’atteindre
les 10.000 followers en moins d’un an.
La vie n’est pas sur tweeter. La valeur
d’un être ne se mesure pas au nombre de followers. Elle en est persuadée :
J’ai
gaspillé le temps, en croyant l’arrêter et pour le retenir, même le devancer,
je n’ai fait que courir et me suis essoufflée…
Alors elle renoue avec la vraie vie.
Elle a des idées de voyage :
Nous
irons à Vérone, a-t-elle lancé à son
mari enfin soulagé. Avec Amélie, pour ses
6 ans. Et puis on ira plus loin. Emmenez-moi au bout de la terre, emmenez-moi
au pays des merveilles !
Denise retrouve sa sérénité. Elle
redevient cette femme aimable qu’on aimait rencontrer pour engager une
conversation responsable lors de réunions de parents d’élèves.
On ne la voit plus absorbée à tapoter
son petit clavier, à s’extraire de la communauté des vivants.
Denise revit comme au temps de la
bohème, un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître…
Qu’elle est triste Denise
Au temps des journées mortes
Qu’est triste Denise
Quand elle ne tweete plus
Elle cherche encore des mots
Qui ouvrirait la porte
A d’autres followers
Mais elle ne les sent plus (les mots)
Qu’elle est triste Denise
Lorsqu’au beau bar, Carole
Devant un bon café
Lui dit : ça va bien mieux
Mes abonnés si chers
Retweetent : ils se gondolent
De mes billets d’humeur
Ils en sont fous furieux !
Qu’elle est triste Denise
Au temps des lettres mortes
Quand se font la valise
Les mots, ces malotrus !
Amuser : qu’on la lise !
Y’a que ça qui importe !
Poster l’hilarité
Aux abonnés déçus
Qu’elle est triste Denise
Devant tant de lacunes
Elle a perdu la main
Ou elle n’a plus la foi ?
L’oiseau bleu agonise
Elle ressent l’infortune
Car certains l’ont bloquée
Elle ne s'en remet pas !
Adieu toutes ces piges, on
Sent bien qu’elle s’insupporte
Elle est en dessous, pire
Toute son âme est perdue !
Elle est triste Denise
Elle si gentille, accorte
Vient de piquer sa crise
En tweetant : plein le C....(censuré)
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