Le soir du
dimanche 29 juillet, deux frères détenus de la prison de Colmar ont terminé
leur plan d'évasion. Tout est au point.
–
C'est pour
ce soir ! On va s'évader le jour où France 3 diffusera le film de Clint
Eastwood « un monde parfait » ! Comme ça les gens vont
doublement penser à nous !
–
Oui, on
utilise le même mode opératoire ! On descend avec des draps de lit
noués !
–
Cette prison
n'est qu'une vieille carcasse ! On y fait des trous de gruyère à
volonté ! On perce le plafond, on arrive sur les toits, on s'évade en
descendant le long du mur car on est dans de beaux draps, bien solides !
–
Hé
oui ! Et puis on vole une bagnole et on file à Roubaix retrouver notre
contact !
Les deux
hommes s'évadent sans coup férir et avec une certaine hilarité de constater la
quasi gratuité du geste (sans coûts fait rire). Et, comme ils ont souvent fait
dans l'Est, de manière leste, ils volent un
véhicule qui avait le malheur de traîner à la portée de leurs mains
habiles.
Le plus âgé
prend le volant. L'autre, un peu fatigué, se donne un petit moment de
roupillon. Le conducteur allume la radio qui grésille aussitôt.
–
J'ai hâte
d'entendre ce que dit la presse de notre escapade !
–
Hum, hum, laisse-moi
dormir, tu veux !
–
Pas avant
d’avoir écouté le flash d’information !
France Inter
fait écouter sa différence (différence de quoi ?) et démarre son bulletin
radiophonique par l’affaire Benalla !
–
Quoi ! Encore cette affaire ! Y’en a
marre, lance l’aîné alors que le cadet baille à s’en décrocher la
mâchoire ! On ne parle que de ce type qui a tabassé une femme et un homme
lors des manifs du 1° mai en portant un brassard de policier alors qu’il ne l’était
pas vu qu’il bossait pour Macron, en tant que chargé de mission.
–
Bah, il
avait peut-être eu comme mission d’accompagner les flics pour voir comment se
gère une manif ! Une sorte de stage sur le terrain qui aime à traquer
l’exemple.
–
Qui est
matraqué ! Ah, ah, ah ! Tu as beau être ko tu gardes ton esprit petit
frère ! Il n’empêche, cette
histoire peut causer des tords à Macron !
–
Des Maures
attaqueront
–
Arrête de contrepéter !
Ca fait vent tard !
–
Et toi ?
Hein !! Tu parles, tu parles et pendant ce temps tu n’écoutes plus ! Mets-la
en veilleuse ! Moi j’écoute : ça me réveille.
La radio
continue les révélations : On reprocherait à Macron de ne pas avoir
suffisamment sanctionné le pseudo-policier violent. Une mise à pied de 15 jours
et une rétrogradation à des fonctions internes à l’Elysée !
-
Mais c’est
incroyable, s’insurge le plus jeune désormais remonté comme une pendule, le
type s’en sort blanc comme neige ! Ce n’est pas parce qu’il s’appelle
Alexandre qu’on doit le considérer plus con qu’errant !
-
Tu veux dire
quoi, là, frérot ?
-
On pardonne
davantage la connerie que la déviance, voilà ce que je dis !
L’information
continue à faire vibrer les petites baffles : La Commission d'enquête de
l'Assemblée a auditionné le ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb. Ce dernier
s’est dédouané d’une quelconque bévue dans la gestion de cet épineux dossier en se
défaussant sur le préfet de police Michel Delpuech et...
–
Michel
Delpuech, mais, heu, il n’est plus chanteur ?
–
Non, il est
mort ! Mais là c’est Delpuech pas
Delpech ! Tu abuses avec les confusions ! On dirait que ça ne te gêne
pas de marcher dans l’abus ! Mais chut ! J’écoute !
–
France Inter
continue, d’une voix monocorde : Mr Delpuech a contesté en rappelant
« être sous l’autorité des autorités exécutives ». Il a précisé
qu’après avoir appris l’existence de la vidéo du 2 mai (montrant la violence de
Benalla), il a contacté Mr Collomb avant 11 h, contrairement à ce que dit Mr
Collomb...
–
Oh, la la,
ils se tapent dans les pattes ! Le
père Collomb, premier flic de France, perd des plumes ! Ah, donnez-nous
mielleux Collomb ! Et voilà comment Macron se fait pigeonner, ça ne fait
palombe d’un doute !
–
Si tu peux
arrêter avec tes jeux de mots ! J’écoute moi !
–
France
Inter, toujours et encore : Benalla n’a pas immédiatement subi la foudre
de Jupiter ! Il a réintégré sa place dans le cœur macronien. On l’a vu,
d’ailleurs, le 16 juillet, dans le bus qui menait les bleus victorieux sur les
Champs Elysées. Et la transition est toute faite pour se refaire un patriotique
cocorico ! Oui, l’équipe de Didier Deschamps a gagné la Coupe du Monde, en
Russie ! On n’en revient toujours pas et…
–
Oh, la
barbe ! Ils nous reparlent encore de cette deuxième étoile sur le maillot
des coqs en pattes ! On sait ! Ils ont battu la Croatie en
finale ! Ils ont eu beaucoup de chance ! Heureusement qu’il y avait la
VAR pour leur permettre d’obtenir un pénalty !
–
L’avare ?
–
Non la VAR, l’assistance
vidéo à l’arbitrage ! On filme tout ! On peut obtenir un pénalty qui,
jadis aurait été occulté !
–
Ah oui, mais
bon, heu, il n’empêche : ils ont gagné ! Même si ça ne te plaît pas c’est
comme ça ! On oublie qu’on est natif de l’Est ! On ne va pas mordre
avec des crocs à scie !
–
Arrête, t’es
lourd ! Bon j’éteins cette radio ! Rien sur notre évasion !
–
Cela veut
dire que les matons ne se sont pas encore aperçus de notre évasion !
–
Peut-être.
Bon tu peux redormir. Adieu prison, les matons, assez !
–
A Dieu :
prisons ! L’aima-ton assez ?
–
Qu’est-ce
que tu baragouines ?
–
Rien, des
holorimes juste avant de pioncer !
– Des holorimes !
Je ne te demande pas ce que ça veut dire..tu…
–
Zzzzzzzz
–
La vache !
Il est déjà dans les bras de Morphée ! Et il ronfle !
Le véhicule
traverse les paysages du Nord, croise les terrils et arrive à Roubaix. C’est
une ville dont il aurait dû se méfier en raison des filatures.
Effectivement,
leur cavale prendra fin le mardi 31 juillet car la DCPJ (Direction centrale de
la police judiciaire), nonobstant la canicule et la saison des vacances
consolida sa réputation de fin limier.
Les voilà de
nouveau en prison, dégustant, autant que faire se peut, une maigre pitance
déposée sur un quart à pâtée !