- C'est toi qui as fait pété les plombs, lance une aide-soignante désespérément.
- Que nenni, répond sa collègue. On n'y voit goutte ! C'est peut-être une panne générale ! Je vais voir si mon mari est éclairé. Je prends mon portable ! Alors chéri, comment tu vas ?
- Ca va, enfin ça irait mieux si cette putain de retransmission n'était pas interrompue depuis 3 minutes ?
- Une interruption ?
- Oui, les deux équipes sont à égalité : 1 partout ! Et puis tout à coup plus rien ! On voit un journaliste pas rasé et aux cheveux gras qui déboule sur l'écran comme si on l'avait ôté du lit ! Il nous envoie des reportages sur l'équipe de France pour nous faire patienter ! Tu parles d'un programme ! Si ça tombe, pendant ce temps là, y'a une équipe qui a marqué un second but ! Fais chier ! Excuse pour la grossièreté mon coeur. Et toi, ton nouveau service à l'hôpital St Vincent ?
- Figure toi, c'est comique, ici c'est l'électricité qui fait défaut !
- Quoi ?
- Une panne d'électricité à l'hôpital ! On est dans le noir complet ! Je te téléphonais pour savoir si, toi aussi, tu avais eu des coupures de courant !
- Ben non ! En revanche, une grosse coupure de transmission ! Ah, ça y est ! On revoit les images ! Putain les Allemands ont marqué un second but contre les Turcs ! Ah les salauds ! J'espère qu'on va le rediffuser ! Bon, mon coeur, je te laisse, bisou !
Sabrina éteint son portable et le noir l'enveloppe de plus bel. Elle entend un cri qui s'élève de la chambre d'à côté ! Mon Dieu, l'accouchement !
Elle se précipite, se cogne contre une machine à perfusion : un bleu en devenir !
Elle ouvre à tâtons la porte de la salle d'accouchement : la gynécologue de garde vient de mettre au monde un bébé ! Les premiers cris de la vie se heurtent à l'obscurité envahissante.
- C'est un..non c'est une fille..non c'est un garç..non c'est une fille, lance la gynéco.
Elle demande à Sabrina où est la paire de ciseaux pour couper le cordon.
Ce n'est pas le travail de Sabrina !
Mais l'infirmière est partie chercher une bougie et ne revient toujours pas !
Sabrina farfouille dans le tiroir supérieur d'un meuble blanc, enfin blanc lorsque la lumière artificielle ou celle du jour prouve qu'il est blanc !
La paire de ciseaux est trouvée. La gynécologue coupe au mieux, en évitant d'entailler la chair de la maman.
- Voilà, c'est fini ! Vous pouvez embrasser votre enfant !
Dans le cirage de la chambre, la spécialiste de la mise bas arrive péniblement à trouver les bras d'une maman et y place, délicatement, la petite progéniture.
Elle entend la maman pleurer.
- Je sais, c'est pénible d'accoucher dans le noir, dit la sage femme.
- Ce n'est pas cela, je porte à mes lèvres un enfant qui ne m'appartient pas !
- Comment ?
- Je suis une mère porteuse ! Je suis dans l'illégalité ! La loi française interdit mon action ! Mais j'avais trop besoin d'argent ! Alors je suis une mère porteuse, forcément non déclarée ! Je travaille au noir !
- Mais cessez de pleurer, Madame !
- Non, je me sens fautive ! C'est le Bon Dieu qui me punit avec cette obscurité de pénitence !
- Mais non Madame ! Vous n'êtes plus dans l'illégalité ! Le Sénat n'a pas voulu attendre la révision des lois de bioéthique programmées pour 2009 et, hier, un rapport d'information, dirigé par trois sénateurs a proposé de légaliser la maternité pour autrui, les « mères porteuses ».
- Ah, snif, ah ! Alors je ne serai pas poursuivie ?
- Non ! Rassurez-vous ! Vous pourrez presque vous voir en sainte !
C'est alors que la lumière revient.
Mathilde, l'infirmière, aussi ! Avec une bougie dans la main !
- Trop tard, Mathilde, ironise Sabrina, la lumière est revenue. Et l'enfant est né ! Merci St Antoine !
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