Jeanne
Moreau vient de nous quitter ce 31 juillet 2017, à l’âge de 89 ans.
La
France perd une des plus grandes actrices du théâtre et du cinéma.
L’éternelle
demoiselle du cinéma français avait fait ses débuts dans les cours Denis Inès
au conservatoire d'art dramatique avant d’entamer sa carrière au Festival
d'Avignon, sur les pas de Jean Vilard, avec qui elle partageait le risque de la
nouveauté, du révolutionnaire. Le cinéma lui offre des compositions de choix,
qui la consacrent lors des cérémonies : Moderato cantabile,
d'après Duras, vaut à Jeanne Moreau le prix d'Interprétation au Festival de
Cannes et sa performance dans La Vieille qui marchait dans la
mer, adapté de San Antonio, est couronnée du césar de la Meilleure
actrice en 1992. Entre Oskar Werner et Henri Serre, la jeune femme se balance
dans le “tourbillon de la vie” de Jules et Jim, le chef-d’œuvre
de François Truffaut en 1962. Ce rôle la fait entrer dans l'histoire du cinéma.
Jeanne
Moreau ne cesse de multiplier les prestations, avec un naturel inné, sans fard,
sans artifice. Elle excelle dans le drame - Le Temps qui reste,
en 2005 - à la romance - Cet amour-là, en
2002 – mais aussi dans la comédie - Un amour de sorcière,
1997, ou Jusqu’à la Lune et partout sur la Terre, en 2007. Son
nom s’associe à moult projets, y compris à la télévision, en témoignent Les Rois maudits. Icône vivante, on la sollicite régulièrement
les lauriers abondent : présidente du
Festival de Cannes, officier de la Légion d'honneur, présidente du Festival de
New Delhi, césar d'honneur en 1995 et en 2008…
Ses
talents d'actrice vont de pair avec ceux de scénariste. Elle réalise par
ailleurs quelques longs métrages, dont L'Adolescente,
et Le Portrait de Lillian Gish, un film documentaire. En
2010, elle enregistre le Condamné à mort de
Jean Genet avec Etienne Daho et l'interprète sur scène.
La
Grande dame à la voix rauque et apaisante et au visage reconnaissable entre
mille, s’est éteinte, découverte de bonne heure par sa femme de chambre (dont
je vous publie le témoignage).
Elle
nous laisse une cinématographie impressionnante et demeurera la femme qui a
traversé toutes les évolutions du 7ème art, en prenant tous les
risques que lui conférait sa quête de liberté, au-delà des carcans, des us et
phénomènes de mode.
Chapeau
bas, madame !
Sur le journal d’une femme de chambre on pouvait lire
ceci :
Ce matin du 21 juillet 2017, je me rends dans la chambre de
Mme Moreau car la nuit vient de
quitter son chant moderato cantabile.
Je m’approche du fauteuil en évitant de glisser sur la peau de banane qu’elle a laissée traîner par mégarde ; ces
derniers temps elle a des absences
répétées. Je vais vers ce fauteuil, situé plein sud et le temps qui
reste pour effleurer les cheveux de la
reine margot (c’est ainsi que je
l’appelle, par vénération), je réalise la fin des comptes à rebours ! La lumière
joue la mariée était en noir !
Ce
que je croyais une histoire immortelle
venait de gagner le dortoir des grandes !
Jeanne la Française, le plus grande
peut-être des Françaises, celle à qui
tout le monde disait « je t’aime »,
avait pris l’ascenseur pour l’échafaud
et le couperet, dans le jardin qui
bascule, avait accompli le plus
vieux métier du monde : celui d’ôter le corps de Diane, lui verser le
salaire du péché : donner la mort !
Il est minuit, Docteur
Schweitzer et les
Parques, telles les intrigantes qui
vous fixent, le dos au mur, les trois jours à vivre avaient porté leur
dévolu sur Mademoiselle à l’humeur vagabonde !
Jeanne s’en était allée faire les 400 coups au Paradis après m’avoir parlé de son dernier amour. Elle était ma confidente
et même pour mille milliards de dollars
je n’aurais pas vendu mes souvenirs d’en
France avec cet amour-là car jour après jour, avec chacun
son cinéma, on s’était révélé nos secrets
d’alcôve sans pour autant se rejouer le
dialogue des Carmélites !
Oui, je lui avais parlé de l’homme de ma vie, Alberto
Express (enfin, c’est ainsi qu’il se présentait) le Marin de Gibraltar qui, loin de la race des seigneurs, m’avait abandonnée, un jour, à Avignon, bastion de Provence pour
rejoindre une certaine Eva ! Il
m’avait dit « je te quitte, sauve
toi, Lola ! »Elle avait continué à m’écouter et me consoler de la
perte de l’amant quand j’avais
évoqué mon retour chez Jules et Jim,
mes amis d’enfance, les arpenteurs de
Montmartre, logeant encore à Pigalle-Saint Germains des Près chez
leur mère Julietta, un amour de sorcière
culinaire qui cuisinait si bien la truite !
Elle savait écouter,
la grande dame, qui n’avait rien de la femme fardée ! Elle savait se
mettre au niveau des petites gens, par-delà
les nuages de nos destins, à tout
jamais ouverte aux visages des
inconnus, côté cours, côté champs et
toujours curieuse de découvrir le talent
de mes amis, le cœur de métisse
de l’étrange Monsieur Steve, mon
cousin ou encore le dernier Nabab
qui, un certain jour de juin, lui
avait conté les liaisons dangereuses
1960 avec cinq femmes marquées
par la névrose : Nikita la
petite amie de M’sieur La Caille, Nathalie Granger la voisine de Monsieur Klein, Lisa qui se prenait pour Mata-Hari,
la grande Catherine qui était la propriétaire de la Rolls-Royce jaune carburant au gas-oil…
Oui, elle écoutait tout le monde, sans querelle et sans faire le
procès de qui que ce soit ! Elle aurait aimé tous les hommes, jusqu’au dernier : les hommes en blanc, en noir, les amants transis, les vainqueurs comme le paltoquet qui subit l’échec au porteur et à qui l’on dit
« touchez pas au grisbi ! ».
Elle parlait avec tout le monde, nul ne lui était indifférent : une Estonienne à Paris l’avait un jour
abordée pour lui dire, en se trompant sur son prénom : Chère Louise, vous brillâtes dans Viva Maria ! Et cette scène dans les Valseuses ! Quelle
audace ! Vous en feriez un remake ?
Elle lui avait répondu : Le cinéma est mon Prince et le manuscrit du Prince stipule que faire un film, pour moi c’est vivre ! Je suis prête à jouer
tous les rôles et prendre le train des
risques ! Il se peut qu’un jour je
m’appelle Victor et fasse une sortie
de clown ! On sera alors bien loin de Roméo et Juliette, d’Anna Karamazoff ou encore de Falstaff !
Je l’aurais suivie jusqu’au
bout du monde ! Jusqu’à la nuit
de l’océan le long de la baie des
Anges pour accompagner la vieille
qui marchait dans la mer avec la grâce qu’on retrouve dans le pas suspendu de la cigogne !
Je n’aurais eu avec elle aucun désengagement ! Pas de petits meurtres entre nous ! Que nous aurait valu de jouer les louves jouant l’amour et confusions ? I love you, I love you Not ! Akoibon ?
A présent vient l’absence !
Elle vient là, comme le feu follet
autour des tombes, comme pour nous dire « au-delà de cette limite votre ticket n’est plus valable ! ».
Je lui dis « à demain ! On
se retrouvera, peut-être, si le miraculé
existe !
Et puisqu’une femme
est une femme, je me mets à pleurer ! C’est hu-man, heu, humain… Je ne peux résister aux pouvoirs des larmes, the will to resist is out !
Jeanne partie c’est ma vie qui s’écroule. Je vais quitter
Paris, fuir à l’Ouest (Go West)
gagner les grandes étendues du folklore américain, Monte Walsh où réside mon oncle d’Amérique Alex (Alex in Wonderland) !
J’en termine avec ce billet. Toi l’inconnu(e), si tu tombes
sur ce papier, un jour, tu comprendras.
Tu comprendras ma peine immense !
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